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une petite histoire du jazz...

Stan Getz

Une remise en question permanente

Hollywood 1947. Depuis que le trompettiste Tony de Carlo les a engagés dans son orchestre de danse, quatre saxophonistes bourrés de talent attirent chaque soir davantage de monde au Pete Pontrelli's Figueroa Ballroom. Ils se nomment Herbie Steward, Zoot Sims, Jimmy Giuffre et Stan Getz, ils n'ont guère plus de vingt ans et possèdent en commun une même approche intimiste du jazz. Un style fluide et évanescent, une sonorité détimbrée : voilà de quoi surprendre, après les envolées bop de Charlie Parker et de Dizzy Gillespie qui avaient pourtant produit un impact énorme dans les clubs californiens.

Après être entrés dans la formation de Woody Herman ; Stan Getz, Herbie Steward, Zoot Sims et Serge Chaloff au baryton, qui a succédé à Giuffre, enregistreront Four Brothers puis Early Autumn. Les spécialistes ne tariront pas d'éloges sur ces deux compositions écrites respectivement par Jimmy Giuffre et Ralph Burns, qui rendent un hommage appuyé à Lester Young et marquent une rupture décisive avec le bop. Quant au grand public, il prendra lui aussi pleinement conscience que, avec Early Autumn, une nouvelle ère commence pour le jazz - ce jazz que l'on nommera cool ou West Coast puisqu'il vient de naitre sur les bords enchanteurs du Pacifique !

Légende vivante

Sans minimiser le rôle de Steward, Sims et Chaloff, force est de reconnaitre que c'est d'abord à Stan Getz que l'on doit la révolution esthétique qu'apporte Early Autumn. Le jeune saxophoniste à la sonorité suave et romantique devient aussitôt un modèle et une nouvelle référence pour tous ceux qui sont alors à la recherche d'une alternative au discours parkérien. Comme l'a écrit Alain Gerber : « Quelques semaines après la publication de Early Autumn, d'innombrables saxophonistes s'appliquaient déjà à reproduire cette fameuse sonorité. Getz, lui, prit ses distances. Il sut éviter le piège du narcissisme. Avec intelligence, il repoussa la tentation de se laisser aliéner par sa propre légende, qui commençait à prendre forme. »

Née à la fin des années 1940, cette légende ne cessera de prendre de l'ampleur, Stan Getz aura été l'un des rares musiciens de jazz à avoir, de son vivant, fait l'objet de ce qu'il faut bien appeler un culte. Ni Bix Beiderbecke, ni Charlie Parker n'auront connu ce privilège.

Les débuts dans le Bronx

Stanislas Getz voit le jour à Philadelphie (Pennsylvanie) le 2 février 1927. Quelques années plus tard, ses parents s'installent dans le Bronx, à New York. « On attend le petit juif au coin d'une rue pour lui casser la gueule, se souviendra Stan bien des années plus tard. C'est la même chose pour les Noirs ou les autres minorités. Si tu es entouré d'irlandais et que tu es juif et que tu vis dans un quartier à majorité noire ou que tu es un petit Black dans un quartier italien, tu te fais casser la tête. »

Pour un adolescent qui comprend que les universités ne lui sont pas destinées, il n'existe que deux moyens de s'en sortir : le sport ou musique. Stan ne tarde pas à révéler des dispositions pour la contrebasse, puis pour le saxo ténor. À 15 ans, il entre dans l'orchestre de Dick Stinky Rogers. Mais l'Office de protection des mineurs le renvoie chez ses parents séance tenante. L'année suivante, le tromboniste Jack Teagarden - après être devenu son tuteur ! - l'engage dans sa formation. On verra ensuite Getz chez Stan Kenton puis chez Benny Goodman, grâce auquel il fera ses premières armes en studio, avant qu'il ne forme The Be Bop Boys avec les parkériens Hank Jones (piano), Curly Russell (contrebasse) et Max Roach (batterie).

Les premiers triomphes sur la West Coast

Mais c'est en Californie, où il s'installe en 1947, que sa carrière commence vraiment. Après divers engagements, il entre dans l'orchestre de danse de Tony de Carlo qui se produit au Pete Pontrelli's Figueroa Ballroom. C'est alors que le fameux quartette des Brothers - Stan Getz, Herbie Steward, Zoot Sims et Jimmy Giuffre - fait immédiatement sensation, assez en tout cas pour que Woody Herman propose à ces derniers de venir jouer dans son orchestre, The Second Herd. « ldéal sonore du cool jazz », selon l'expression du critique Joachim-Ernst Berendt, Early Autumn connaît un immense succès et propulse les Brothers et Stan Getz en particulier, sous le feu des projecteurs.

Fort du prestige dont il jouit désormais, le saxophoniste abandonne l'orchestre de Woody Herman en 1949 et monte sa propre formation avec le pianiste Al Haig, le contrebassiste Gene Ramey et le batteur Stan Levey. Les enregistrements de cette époque, réalisés soit avec son quartette, soit avec les saxophonistes Zoot Sims, Al Cohn, Brew Moore et Allen Eager montrent à quel point Stan Getz délaisse progressivement la frénésie du bop pour la rêverie du cool jazz et les ballades dans lesquelles il excelle.

Mauvaise passe

Mais cette irrésistible ascension sous le soleil californien est bientôt menacée par des difficultés personnelles. Comme de nombreux musiciens de jazz, Star Getz a sombré dans les affres de la drogue, ce qui vaut d'être arrêté par la police après un vol dans un drugstore. Son épouse, la chanteuse Beverly Stewart, qu'il a rencontrée lorsqu'il jouait chez Pontrelli, l'abandonne. En outre, atteint d'une grave maladie pulmonaire, le saxophoniste devient dépressif et tente de se suicider.

Une cure de désintoxication lui permet de repartir sur de nouvelles bases et, en 1955, il forme un combo avec le trompettiste Tony Fruscella. Mais celui-ci trouvera la mort à 28 ans après avoir abusé des drogues et de l'alcool. Malgré cette expérience, qui lui révèle sa propre fragilité, Stan Getz parvient à poursuivre le chemin qu'il s'est tracé. Il enregistre l'album West Coast Jazz avec les meilleurs musiciens du genre (dont le batteur Shelly Manne et le trompettiste Conte Candoli), effectue des tournées avec le Jazz At The Philarmonic de Norman Granz, et se produit souvent avec Oscar Peterson, Dizzy Gillespie, Gerry Mulligan et Chet Baker. Il touche ainsi un public de plus en plus large et apparait comme l'un des grands novateurs du jazz post-parkérien.

L'interlude européen

Ce jeune esthète décide de partir pour Stockholm en 1958. Son séjour en Suède, au cours duquel il épousera Monica Silverskjold, ne l'empêchera ni d'enregistrer ni de se produire un peu partout en Europe. Ainsi, il jouera toujours avec succès au Montmartre Jazzhus de Copenhague et au Blue Note de Paris.

À son retour aux États-Unis, en 1961, Stan Getz se rend bien vite compte, cependant, que le grand public l'a quelque peu oublié. Sonny Rollins et John Coltrane, deux géants du saxophone ténor, dominent alors l'univers du jazz américain. Il lui faut donc pratiquement repartir de zéro. L'album Focus (écrit et arrangé par Eddie Sauter), enregistré avec un orchestre comprenant dix violons, unanimement salué par la critique, constitue la première étape de son retour triomphal. Mais Stan Getz veut prouver, à lui-même comme à tous ceux qui l'ont suivi depuis Early Autumn, qu'il est capable de se renouveler, et même de franchir les frontières du jazz.

La période exotique

« Voici la chanson qui paiera les études universitaires de mes cinq enfants. » C'est en ces termes que le saxophoniste présente Desafinado, paru en 1962. Sa récente passion pour les musiques latino-américaines, et pour la bossa-nova en particulier, va effet se révéler payante, artistiquement et commercialement. L'album Jazz Samba, enregistré avec le guitariste Charlie Byrd sur des thèmes de Jobim, Gilberto et Baden Powell, connaîtra un succès extraordinaire. Tout comme No More Blues (thème brésilien intitulé Chega de Saudade), Noite Triste, Samba De Uma Nota So et Manha Do Carnaval, réalisés avec le grand orchestre de Gary McFarland, puis So Danço Samba et The Girl From lpanema.

Le retour au jazz

Après s'être plongé dans les délices exotiques de la bossa-nova, Stan Getz revient au jazz véritable au milieu des années 1960. L'occasion lui en est donnée lorsque le label Verve organise plusieurs séances réunissant les plus grands improvisateurs romantiques de l'ère post-parkérienne, soutenus, pour augmenter le contraste, par une rythmique énergique. C'est ainsi que le saxophoniste se retrouve en studio avec le pianiste Bil Evans et le batteur Elvin Jones. Stan Getz forme ensuite un nouveau groupe avec le vibraphoniste Gary Burton et un pianiste surdoué du nom de Chick Corea, qui a précédemment joué avec Miles Davis. De cette rencontre naitra l'album Sweet Rain paru en 1967 et auquel ont aussi participé Ron Carter (basse) et Grady Tate (batterie).

Tout au long des années 1970 et 1980, Stan Getz en registre beaucoup et se produit un peu partout dans le monde. Mais sa santé a commencé à décliner, l'obligeant à écourter une tournée européenne en 1988. C'est le 6 juin 1991 que le saxophoniste décède à Malibu (Californie) d'un cancer du foie.